Les jeunes filles et les femmes au Rwanda


Introduction

Genre et pauvreté rurale

Disparités selon le genre

Leçons apprises



INTRODUCTION

Dans la période post-génocide, la société rwandaise s’est peu à peu acheminée vers la reconnaissance des droits des femmes et l’égalité des chances, avec notamment l’adoption de lois non discriminatoires, un meilleur accès à l’éducation et l’émergence d’un mouvement d’associations de femmes promouvant leur habilitation sociale et économique. De plus, les associations de femmes ont poursuivi un plaidoyer pour garantir une plus grande participation des femmes à la vie politique. Un système de quota garantissant aux femmes le tiers des sièges élus au Parlement a ainsi été enchassé dans la Constitution de 2003. Le Rwanda est désormais le premier pays au monde où les femmes ont obtenu la parité au plan de la représentation politique, avec 56 % des sièges au Parlement national contre 15% en moyenne dans le reste du monde. Dans le même ordre d’idée, le Ministère de la condition féminine a mis en place, en 2002, des comités de femme dans chaque localité pour fournir aux femmes une première plateforme où elles pourraient trouver une solution à leurs problèmes.

Toutefois, ces différentes actions visant à réduire les inégalités de genre ont eu, bien souvent, peu d’impact sur l’amélioration des conditions de vie des jeunes filles et des femmes du monde rural. En effet, même plus égalitaires, les nouvelles lois et politiques tardent à bénéficier à ce segment de la population car les jeunes filles et femmes des zones rurales font face à une double marginalisation relevant à la fois de la pauvreté rurale et des inégalités de genre. Preuve en est le nombre nettement plus élevé de jeunes filles et de femmes que d’hommes qui y vivent en-deça du seuil de pauvreté.

GENRE & PAUVRETÉ RURALE

La pauvreté rurale est profondément enracinée dans l’écart entre ce que les femmes produisent et ce qu’elles possèdent. Dans l’après-génocide, soit de 1994 à 1998 environ, la population féminine a constitué les deux tiers de la population totale. Le profil démographique du pays s’est quelque peu rétabli mais les séquelles provoquées par le génocide sont encore apparentes à ce niveau avec un fort taux de familles ou de ménages qui sont dirigées par des femmes (25%). En fait, dans certaines zones rurales, la proportion de familles dirigées par des jeunes filles ou des femmes atteint 38%. Ces familles sont plus à risque d’être très pauvres; 60% des familles qui ont comme chef de ménage une femme ou une jeune fille vivent en-dessous du seuil de pauvreté comparativement à 54% pour les familles ayant un homme ou un garçon comme chef de ménage. Les enquêtes nationales de 2001 et 2006 ont révélé que les femmes chef de ménage ont nettement moins de terre et de bétail que les hommes chefs de ménage. La pauvreté des familles rurales (lesquelles constituent 80% des pauvres au Rwanda), combinée à la diminution de la productivité agricole, a causé une pénurie chronique de produits vivriers ainsi qu’un état plus ou moins chronique d’insécurité alimentaire. Là encore, la malnutrition frappe de manière plus prononcée les familles ayant des femmes chefs de ménage, les plus vulnérables lors des périodes de disette.

L’appauvrissement des femmes rurales qui repose essentiellement sur de fortes inégalités sociales et économiques et un accès inéquitable aux ressources, s’explique surtout en raison de leur appartenance au sexe féminin. Par exemple, l’économie à caractère essentiellement agricole du Rwanda oblige les parents à avoir recours à leurs enfants, surtout les filles, pour accomplir le travail aux champs et certaines tâches domestiques, comme le transport de l’eau. Le Ministère de l’éducation estime que du 94% des enfants qui fréquentent l’école primaire, seulement la moitié réussit à obtenir un diplôme de fins d’études primaires. La majorité des enfants non-inscrits ou qui abandonnent leurs études primaires sont des filles. Ce phénomène est attribuable en bonne partie aux facteurs socio-culturels qui jouent en défaveur de l’éducation des jeunes filles, particulièrement dans les zones rurales. Par ailleurs, de nombreux parents favorisent l’éducation des garçons au détriment des filles, surtout dans un contexte de pauvreté extrême. La violence sexuelle est aussi un facteur qui contribue à l’abandon scolaire des jeunes filles. La police rwandaise a rapporté plus de 3 000 cas de viols pour les années 2005 et 2006, et 78 % de ces viols étaient commis contre des mineures. Dans ce contexte, les jeunes filles rurales et leurs mères sont particulièrement exposées à cette violence lorsqu’elles marchent quotidiennement plus de trois heures par jour dans des endroits isolés pour aller à l’école ou chercher de l’eau.

DISPARITÉS SELON LE GENRE :
ACCÈS INÉQUITABLE AUX RESSOURCES ET MANQUE D'OPPORTUNITÉS

Les femmes sont principalement actives dans le secteur agricole où elles constituent de 40 à 60 % des membres des 15 000 associations ou coopératives opérant dans ce secteur. La division sexuelle du travail agricole a connu des mutations profondes dans la période post-génocide au Rwanda: désormais la culture des produits d’exportation n’est plus un domaine uniquement réservé aux hommes. En plus de cultiver les produits vivriers nécessaires à la consommation familiale, les femmes sont de plus en plus présentes dans les cultures commercialisées comme le café. Cependant, en raison de pratiques coutumières discriminatoires, l’accès des femmes aux biens de production, dont la terre, et aux facteurs de production, comme les intrants agricoles et le crédit, reste pour ainsi dire hors de leur portée. Les indicateurs statistiques révèlent en effet que les femmes chefs de ménage détiennent 30 % moins de terres que les hommes chefs de ménage et possèdent 50 % moins de bétail. Dans l’agriculture à petite échelle, les membres des familles sont appelés à fournir la main d’oeuvre nécessaire et il est bien connu que les femmes au Rwanda, comme partout en Afrique, jouent un rôle majeur dans la production agricole et la sécurité alimentaire. Or, elles détiennent rarement le pouvoir de décision au sein des ménages et ont peu accès à l’information dispensée par les vulgarisateurs agricoles (en Afrique, seulement 13% des producteurs agricoles, essentiellement des hommes, ont accès à cette information). De plus, les jeunes filles et les femmes bénéficient peu des opportunités économiques engendrées par les innovations technologiques et l’appui offert par les services techniques agricoles. Aussi, en dépit de leur contribution importante dans le secteur agricole, celui-ci demeure encore largement dominé par les hommes, tant au niveau décisionnel qu’au niveau institutionnel (services de recherche et de vulgarisation). Par ailleurs, le faible taux de scolarisation des femmes dans le monde rural représente un obstacle majeur à leur participation aux différentes formations proposées par les projets de développement ou, encore, aux instances de décision au sein des associations et coopératives. En effet, seulement 42 % des femmes âgées de plus de 25 ans sont capables de lire et d’écrire contre 69 % chez les hommes. Dans ces circonstances, il leur est difficile d’acquérir les connaissances en gestion nécessaires pour opérer dans un cadre favorisant le microcrédit, la maîtrise d’itinéraires techniques plus complexes ou le recours à de nouvelles technologies comme les plateformes multifonctionnelles. Qui plus est, les jeunes filles chefs de ménage, de par leurs responsabilités, se retrouvent dans l’impossibilité de fréquenter l’école, ce qui accroît leur niveau de contraintes pour accéder à des activités de nature artisanale ou à oeuvrer au sein de microentreprises rurales.

Dans le monde rural, les femmes ne possèdent pas, ou que très peu, de contrôle sur la prise de décision concernant la planification familiale. Cette réalité s’accompagne d’ailleurs d’une faible proportion d’accouchements assistés en milieu hospitalier, réalité qui est d’ailleurs le lot des très jeunes mères. En 2008, 4 % des mères se situait dans la classe d’âge des 15-19 ans. Même si le Rwanda a légiféré sur l’âge permis pour se marier, soit 21 ans, les mariages précoces demeurent encore courants en zone rurale. En fait, l’étendue du phénomène des mariages précoces ainsi que des mariages forcés, n’est pas vraiment connue. En effet, pour contourner la loi, ces unions ne sont pas enregistrées au niveau du registre civil.

Comme ailleurs en Afrique, la pandémie du VIH-SIDA affecte de manière disproportionnée les jeunes filles et les femmes. Cette catégorie de la population est plus à risque d’être séropositive que la catégorie des garçons et des hommes (3.6 % versus 2.3 %), et la situation est encore plus critique pour les jeunes femmes. Celles-ci ont un taux de prévalence trois fois supérieur à celui des hommes du même groupe d’âge (15-24). De plus, la prise en charge des personnes atteintes du SIDA et des orphelins qu’elles laissent derrrière elles sont un fardeau qui est la plupart du temps assumé par les jeunes filles, ayant comme conséquence directe leur abandon scolaire afin de s’occuper des enfants plus jeunes et d’effectuer les travaux des champs et les tâches domestiques quotidiennes, en lieu et place des adultes.

L’incapacité des jeunes filles et des femmes du monde rural à surmonter les barrières associées au genre se trouve amplifiée par le fait qu’elles sont, bien souvent, les seules à assumer la responsabilité d’élever les enfants et les frais de leur entretien (nourriture, vêtements, matériels uniformes scolaires). Mais surtout, la pauvreté endémique auquelle elles sont confrontées s’explique d’abord par une allocation inéquitable des ressources en matière d’éducation, de services de vulgarisation, de services sociaux et de lutte contre le VIH-SIDA. Cette allocation inégalitaire des ressources au détriment des jeunes filles et des femmes ajoute au poids des disparités en genre vécues dans le monde rural.

LEÇONS APPRISES

Les obstacles auxquels sont confrontées les jeunes filles et les femmes rurales les empêchent non seulement de bénéficier des efforts faits à l’échelle nationale pour combattre la pauvreté et habiliter les femmes au sein de la société rwandaise, mais aussi de proposer des solutions aux problèmes qu’elles rencontrent dans leur quotidien. Leur contribution est cependant vitale pour permettre la mise en place de solutions durables dans le cadre des programmes nationaux de réduction de la pauvreté.

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